Le Cantique de la Vierge

 

        L'approche théologique du fait religieux ne demande évidemment pas de se refuser un regard sur les créations artistiques ou littéraires dans lesquelles certaines sensibilités se sont exprimées, pour notre bonheur ; bien au contraire. Le poème " Le Cantique de la Vierge" est l'oeuvre de quelqu'un dont la modestie n'avait d'égale que le sens poétique. Joseph Larribau (1870-1928), originaire du Sud-Ouest (4O Poyanne) était professeur de littérature au collège de Confolens. Dépourvu de toute ambition, il n'a jamais pensé à faire éditer son oeuvre lyrique. Il ne cherchait dans ses vers que le bonheur de les composer.

        Le Cantique de la Vierge se compose de trois parties. Les deux premières correspondent à l'événement de l'Annonciation. Juste avant l'arrivée de l'ange, la Vierge, en prière, semble ressentir certaines images ou figures de la Bible comme préfigurations de son propre destin. Là dessus, l'ange Gabriel arrive avec son message. Mais à peine a-t-elle acquiescé que des prémonitions affreuses s'imposent à elle ; c'est la révélation des jours affreux qu'elle va devoir endurer. Elle n'en reitère pas moins son acquiescement, en connaissance de cause. Dans la troisième partie le poète nous entraîne dans une prière très humaine à Marie.

  

- I -

 Les mains jointes, Marie écoutait à genoux;

Et dans le soir qui fait le ciel plus près de nous,

Du fond des temps lointains montent des voix étranges:

"Vierge dont les pieds nus éblouissent nos fanges,

Nos yeux te regardaient déjà dans l'avenir.

Ezéchiel, debout au sommet du Scénir

Guette un  rayon qui sort d'une porte scellée;

Sâron te dénomma le lys de la vallée,

Salomon s'enivrait de ta grâce, et David,

Dans une robe intacte aux franges d'or te vit!

L'échelle de Jacob te hausse dans les astres!

Tour aux cent boucliers! Palais aux sept pilastres!

Buisson ardent ! Toison que respecte la nuit !

Sur ta route, une odeur d'aromates te suit

Car tu tiens dans tes doigts le troène des vignes!

Mont des muguets! Liban, neigeux des vols de cygnes!

Partout, partout tu remplis le saint Livre

Comme si, devançant les temps que tu dois vivre,

Pour te conduire à l'aube où notre espoir t'attend ,

Tout le passé n'était qu'un portique éclatant !

Mais nous ne dirons pas l'ineffable mystère;

Il ne faut plus de voix qui viennent de la terre,

Et seul, le Ciel a droit de te parler ce soir!"

Et tout se tut.

                    Alors dans le silence noir

Qu'illumine soudain une descente d'ailes,

Gabriel, le plus pur des archanges fidèles

Que puisse adresser Dieu vers tant de pureté,

Gabriel, sur le seuil sacré, s'est arrêté,

Et, tremblant d'apporter son destin à l'Elue,

Il murmure, les yeus baissés:

 "Je vous salue".

  

 

- II -

 

 "Qu'il soit fait, ô Seigneur, selon ta volonté,

Puisque tu t'inclinas vers mon humilité,

Et que, ce soir, le Maître exalte sa servante !"

 Mais brusquement ses yeux se sont clos d'épouvante

Devant les jours futurs montés à l'horizon.

 Quand, pour naître, l'enfant de l'homme a sa maison

Il faut que, seul, le Fils de Dieu n'ait qu'une étable!

Il est là, sur une peu de chaume lamentable

Et la petite main, de froid a grelotté

Qui brandit dans les cieux les foudres de l'été.

 Les glaives nus ont soif et veulent boire.

C'est la fuite; et le Sphinx, pensif sous l'heure noire

Regarde avec stupeur ce Dieu pour lui sans nom

Qui passe en des haillons flottants, sur une ânon.

 "Quoi! Ne pouviez-vous veiller une heure ensemble

Avec moi ?" Des flambeaux rôdent. Dans ses mains tremble

Le lourd calice amer qu'il lui faut épuiser.

Pour la première fois l'amour craint le baiser.

 "Je jure que jamais je ne connus cet homme".

A mort ! - Qu'on le conduise au proconsul de Rome!

-Puisqu'il est roi, jetons à son flanc ce manteau!"

Lui, debout, les deux poingts garrottés eu poteau,

Il se remémorait les versets du prophète :

"Ils le couronneront d'une couronne faite

Avec l'épine agreste et le roseau marin

Et l'on pourra compter tous les os de ses reins."

 Judas se pend d'angoisse, et Pierre a fui de honte.

 "Allons, marche!" La pente est abrupte; Il la monte

Sous le poids de sa croix, moins lourd que nos péchés!

O crachats et sueurs, sur sa face, étanchés!

 Genoux meurtris! Gibet spectral de la colline!

Eponge de vinaigre et de fiel! Javeline

Dont la pointe s'acharne à son cœur et le mord!

Mais tout est comsommé maintenant : Il est mort!

Un soldat joue aux dés la robe sans couture.

 Et, pâle de la sourde horreur qui la torture,

Rouvrant ses yeux sereins, la Vierge a répété:

 Qu'il soit fait, ô Seigneur, selon ta volonté!"

  

 

- III -

 

Prière

 

Tu sièges désormais sous les divins portiques,

Reine, vierge de l'homme et vierge du tombeau;

Le soleil, à ton front, met ses gloires mystiques,

Et la lune, à tes pieds, glisse son escabeau!

 

Mais en vain, aux jardins que l'astre en feu décore,

L'ange te tend la myrrhe et le lys immortels!

Tu daignes te pencher et nous sourire encore,

Quand nous posons la fleur d'un jour sur tes autels!

 

En vain, hors de la nuit anxieuse où nous sommes,

L''Assomption t'a prise en ses bras triomphants :

Toi, tu songes toujours à la terre des hommes,

D'où monte le sanglot ancien de tes enfants!

 

Et pour tarir le flot des paupières amères,

Pour que passe un rayon furtif dazns nos noirceurs,

Tu mets un peu de toi dans le cœur der nos mères,

Et, parfois, ton regard dans les yeux de nos soeurs.

 

Mais il ne suffit pas d'un reflet: Viens toi-même;

Resplendis toute en nous, Etoie du matin!

Viens, descends, et pardonne à tes fils ce blasphème,

Si toujours nous trouvons, sans toi, Dieu trop lointain.

 

Viens, sois notre secours dans l'épreuve et la lutte.

Tiens-toi debout encore à côté de la Croix,

Ô Mère, et sur ton cœur prends-nous après la chute,

Toi qui l'as vu, tu t'en souviens, tomber trois fois.

 

Relève-nous! soutiens vers les haltes certaines

L'effort de nos genoux dans les douteux chemins;

Et pouisqu'en toi les sept couteaux font sept fontains

Lave dans ce torrent nos âmes et nos mains.

 

Fais sur nous ruisseler en onde salutaire

Ce sang qu'oint étanché tes tragiques pâleurs;

Que rien ne reste en nous des traces de la terre

Que le stigmatre auguste et cher de nos douleurs!

 

Lave-nous, pour qu'au jour suprême et redoutable,

Où tout homme, en tremblant, se sent un oorphelin,

Nous puissions, conviés à la céleste Table,

Vêtir la lureté comme un manteau de lin.

 

 

                                                    Joseph Larribau  (" Jean Poyanne")

 

 

 

 

                    

 De Philippe Desporte - 1546-1606):

 

 

 

                                                        Sur des abysmes creux les fondemens poser

                                                        De la terre pesante, immobile et féconde,

                                                        Semer d'astres le ciel, d'un mot créer le monde,

                                                        La mer, les vents, la foudre, à son gré maistriser

 

                                                        De contrariétez tant d'accords composer,

                                                        La matière difforme orner de forme ronde

                                                        Et par ta prévoyance, en merveilles profondes

                                                        Voir tout, conduire tout et de tout disposer

 

                                                        C'est peu de chose à ta majesté haute;

                                                        Mais que toy, Créateur, il t'ait plu, pour la faute

                                                        De ceux qui t'offensoyent, en croix estre pendu,

 

                                                        Jusqu'à si haut secret mon vol ne peut s'estendre;

                                                        Les anges ny le ciel ne le sçauroyent comprendre;

                                                        Apprens-le-nous, Seigneur, qui l'as seul entendu!

 

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