anigreen02_rotate_next.gif    "Comment je suis redevenu chrétien" J. C. Guillebaud

 

 anigreen02_rotate_next.gif    "Préhistoire de la foi chrétienne" J. Lartigolle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           J.C. Guillebaud a d’abord été, de 1960 à 1980, un talentueux reporter au journal Le Monde. Il a vu de près les crises, guerres, révolutions, famines qui en Asie (guerre du Vietnam), en Afrique, au Proche Orient, secouaient les peuples.

            Né dans la religion catholique, il n’avait pas vraiment intériorisé cette foi. Aussi, a-t-il  laissé tomber, sans grand débat intérieur, assez vite après son adolescence

            Son activité de reporter aux quatre coins de la planète, le rendait témoin, aux premières loges, des bouleversements qui modifiaient de façon inexorable les modes de vie.  

Un monde nouveau était en train de naître avec la mondialisation de l’économie, l’apparition du cyber-espace, « nouveau .continent » et le pouvoir que donnent de plus en plus les découvertes scientifiques sur la génétique elle-même. Une radicale mutation se produisait à tous les niveaux dans le monde entier.Il a décidé d’abandonner le reportage, nez sur l’événement, pour tenter de comprendre la profondeur du bouleversement général qui fait apparaître un monde radicalement différent de celui que le passé avait transmis.

            Sans qu’il l’ait prévu, il a été alors amené à découvrir que cette « apocalypse » provenait largement de l’action de la foi judéo-chrétienne en ses deux millénaires et demi. L’élan de la modernité en sa visée de promotion humaine est largement parti de la foi chrétienne. Elle a représenté le milieu matriciel d’une mentalité générale que l’on a parfois voulu faire dériver du siècle dit « des lumières », mais qui, en fait, par delà sa laïcisation, est née essentiellement du christianisme.

            Ainsi, dans « la généalogie lointainement judéo-chrétienne », apparaît d’abord avec évidence la notion essentielle de la souveraineté de la personne humaine, de l’individu en tant que tel. C’était impliqué dans l’affirmation biblique de la responsabilité personnelle de chacun au regard de Dieu, corollaire de la position exceptionnelle que la raison accordée à l’homme vaut à celui-ci au cœur de la création. Cet accent sur la valeur de l’individu était une nouveauté. Dans l’antiquité le grand et principal « personnage » avait d’abord été la tribu, puis la cité et le royaume ou l’Empire. De même, dans la tradition bouddhiste, les concepts de non-soi et d’impermanence contredisent l’attachement au « moi »individuel considéré, dans la ligne de la sagesse orientale, comme la racine d’un mental presque toujours insatisfait et donc facilement malheureux. « Cette majesté principielle du moi » dit encore l’auteur, n’existe pas davantage dans l’islam où la Umma, la communauté des croyants se subordonne l’importance de chacun.

            Une illustration de l’importance de l’individu dans le christianisme se trouve dans le tournant pris en 1215 au quatrième Concile du Latran pour le mariage : contre la tradition qui faisait du mariage imposé par la famille, du mariage forcé, une règle générale, l’Eglise a fondé le mariage sur la déclaration publique des consentements des époux, y compris contre la volonté des familles.

            Bien entendu la prééminence de la valeur de l’individu avait pour corollaire un autre aspect de la révolution mentale et sociale : celle de l’égalité, de nature et de droits, entre tous les humains. N’est-ce pas ce que l’apôtre Paul proclamait dès le début, osant dire que les esclaves étaient dans l’Eglise les égaux des hommes libres ? Au XVI ième siècle, Bartolomé de Las Casas le reprenait, devant Charles Quint, pour la défense des Indiens.  

            On sait enfin le changement de perspectives historiques déjà provoqué par le judaïsme. Alors que l’antiquité croyait à la circularité du temps et à l’éternel retour, l’apparition, en un tout petit peuple, de la foi en un seul Dieu, a nécessairement conduit ce peuple à penser que ce Dieu ne pouvait en rester là : adviendrait le temps de son Royaume universel, « le jour de Yahvé ». L’histoire était vue ainsi comme un processus évolutif générateur d’espérance. La version laïcisée en a été la notion de progrès, c’est-à-dire la confiance en un avenir toujours possiblement meilleur ; c’est là encore l’une des composantes de ce que Guillebaud appelle la « première modernité ».

            Enfin, l’auteur a connu une véritable révélation lorsqu’il s’est rendu compte que la foi chrétienne, en son fondement - un Dieu crucifié et ressuscité – correspondait à une véritable subversion des idées régnantes jusque-là dans le domaine des relations inter-humaines. L’homme avait toujours été porté à voir dans la domination du plus puissant, dans le triomphe de l’homme fort ou, d’une manière générale dans la réussite, une sorte de droit naturel, parfaitement dans l’ordre des choses. (Socrate refuse d’échapper à une mort injuste parce qu’il est condamné au nom de la Cité). La divinisation des empereurs romains reste le cas parfaitement symbolique de la tendance générale à la sacralisation de la puissance.

            Lui correspondait, tout naturellement, la tendance à la diabolisation des faibles, des échoués et des victimes. Dans le judaïsme lui-même, la maladie passait pour une punition divine. Dans les religions orientales, l’être humain se trouve condamné à la réincarnation par ses fautes dans une existence antérieure. Une telle dépréciation du faible favorise évidemment chez lui un état de soumission, voire de passivité et d’acceptation victimaire. Tel était l’esprit ancien dans une de ses dominantes les plus visibles.

            Les ennemis du Christ ont donc aussi cherché à le diaboliser : « C’est par Béelzébub, prince des démons, qu’il chasse les démons ». Ils croyaient, ou voulaient croire - sait-on ?- qu’en obtenant sa condamnation à mort ils servaient la cause de Dieu. La résurrection est venue démentir éloquemment. En voyant dans un crucifié le Fils de Dieu, la foi chrétienne renverse le sacro-saint principe du droit à la violence du plus fort ; elle dénonce l’orgueil comme la source de toute exploitation de l’homme par l’homme. Le Dieu qui s’est manifesté dans un crucifié n’a rien d’un orgueilleux.

            Nous sommes passés ainsi dans un monde où « On ne peut plus dire : « J’opprime parce que je suis le plus fort et, pour le reste, je n’ai aucun compte à rendre... (Aujourd’hui)  pour opprimer commodément, chacun s’efforce d’apparaître plus victime que l’autre. » (p.110-111)

            Parvenu à ce stade, c’est-à-dire après la prise de conscience de ce que le christianisme offre d’unique pour la valorisation de l’homme, notre auteur, sans faire l’impasse sur certaines faiblesses des responsables chrétiens au cours de l’histoire, se pose la question décisive : « Un texte comme la Bible dont on a reconnu et mesuré la puissance peut-il n’être qu’une simple création humaine ? » En d’autres termes, puis-je dire en toute sincérité que j’aie la foi ?

            Avec la même stricte honnêteté intellectuelle qui l’avait conduit jusque-là, il reconnaît en lui une gêne qui provient de la secrète insistance du doute. Il réfléchit alors à la question de l’assentiment de foi. Faut-il entendre par là une certitude qui écarte tout inquiétant retour d’hésitation et rende superflue la poursuite du questionnement ? Bien sûr, l’esprit moderne, tout en restant viscéralement épris de liberté, se surprend parfois à souhaiter, au moins sur cette question du sens de la vie, des certitudes quasiment contraignantes. Mais que serait un Dieu qui voudrait forcer l’assentiment de l’homme ? Ne serait-il pas contraire à l’esprit même du christianisme, tel que nous venons de le voir à l’œuvre pour la valorisation de l’être humain ?

            Jean-Claude Guillebaud en vient à reconnaître dans la foi un acte de nature décisionnelle, un « saut » par dessus un reste d’insatisfaction dû à l’impossibilité d’une vérification exhaustive. Cette enjambée, cependant, se trouve très raisonnablement appelée par la parfaite correspondance entre ce Dieu du refus de sa propre force d’écrasement de la liberté de l’homme et l’expérience historique de sa singulière efficience pour le bonheur personnel et social de l’humanité : ce que Guillebaud appelle d’un mot très heureux, « la fondamentale pertinence » de la foi chrétienne.            

A partir de cette décision, la sincérité de l’engagement fait éprouver peu à peu la secrète « saveur » d’une telle foi en permettant d’expérimenter sa puissance de dynamisme et d’heureuse tonicité. L’auteur n’en reconnaît pas moins très justement que cet engagement suppose la jonction aussi fidèle que possible à la communauté des croyants.

Ce travail de grande droiture trace les lignes d’au moins l’un des parcours que seront de plus en plus enclins à entreprendre tous ceux que l’avenir ne rassure pas outre mesure, et qui, dans ce monde dominé par les questions de production et de marché, au sein d’une atmosphère obsessive de rumeur médiatique qui brasse tout pêle-mêle, tiennent à mettre au clair le but de leur vie.

Regard illuminé de Syméon recevant la révélation du salut pour le monde lors de la Présentation de l'enfant Jésus au temple. Ev. de Luc 2,25-35.

(Bas-relief, Basilique de la Charité-sur- Loire)

            


[1] S’inspirait évidemment d’un tel esprit l’ une des formules employées pour le sacre des rois de France. « Sire, vous pouvez tout, mais vous ne pouvez pas vouloir tout ce que vous pouvez », disait le chancelier du Royaume.

 

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L’espoir le plus invétéré de l’humanité ne serait-il pas que lui soit accessible, et par là vitalement participable, le mystère immense et fondamental qui s’atteste dans le déploiement infini de l’Univers ? L’universalité du fait religieux depuis le fond des millénaires, paraît bien en être le signe. La religion n’est rien d’autre que la recherche d’un « reliment » avec la mystérieuse source d’exubérance d’être et de vie.

  Au très probable point de départ, voici l’animisme : l’homme prête à tous les autres existants, sources dactivité et de vie – ou du moins d’apparence de vie, tels les éléments –  l’analogue de ce qu’il perçoit en lui-mêmece que nous appelons de « l’esprit », « un esprit ». Il se voit ainsi moins étranger à tout cet univers d’êtres sidifférents de lui-même dans leur aspect physique : un oiseau, le loup, le vent, l’orage, le soleil. Il peut dès lors tenter quelque relation avec eux : la religion des prêtres perses, la « magie », a eu son équivalent chez tous les peuples, à ce stade animiste.

 

        Ce serait une erreur grossière de tenir l’animisme pour du pur infantilisme. Ne disposant ni de la notion d’instinct ni de celle de déterminisme, l’animiste a interprété l’ajustement de tous les êtres à leur fin comme la résultante d’une intention intérieure, consciente, à l’image de ce qu’il expérimentait en lui-même. Il mettait déjà le doigt sur le mystère de l’intelligence dont est fait tout l’univers et dont la science représente aujourd’hui le laborieux effort de lecture...mais non, bien sûr, d’explication.

            Plus tard, par exemple dans la religiosité grecque de l’époque dont témoignent les poèmes homériques, la divinité, tout en se personnalisant sous la forme de l’être humain, continue à ne faire qu’un avec le monde et ses forces. Dans les poèmes homériques, au sein même du conflit politique de la guerre de Troie, elle se campe devant l’homme à partir des choses du monde et des dynamismes de leurs corrélations. « Le sentiment qu’a le Grec de l’existence se situe ...à l’intérieur d’une présence divine. » (Les dieux de la Grèce. Walter Otto, Payot, 20004).

 Au cinquième siècle avant notre ère, le monothéisme est né, au Moyen Orient, dans un contexte de malaise social et de rivalités impérialistes au cours duquel ce qui n’était pas encore le peuple juif a failli disparaître. Par la voix des « inspirés » ou « prophètes », le dieu  - « Yahvé » - qui, jusque-là avait été honoré, de la part de ces anciennes tribus de pasteurs nomades, d’un culte exclusif, les a averties que l’abandon corrélatif de cette exclusivité et de leur traditionnel esprit de solidarité les vouait à l’extinction. La suite des événements allait dans le sens de la confirmation de ces avertissements ; les rescapés ont alors compris leur dieu traditionnel non plus comme un dieu parmi bien d’autres, mais comme le seul vrai Dieu puisqu’il faisait preuve d’une telle maîtrise générale ; enfin et surtout, sa principale caractéristique se découvrait dans son extrême désir de  paix et de respect entre ses créatures humaines. Quel changement par rapport aux dieux imaginés sur le modèle des hommes et de leurs sociétés querelleuses !

L’apparition du monothéisme représente, sans aucun doute, l’un des plus grands événements de l’histoire, sinon le plus grand en ce qui concerne l’esprit de civilisation et d’humanisation : si toute l’humanité vient de la même Source transcendante, tous les hommes ont une égale et noble origine. Comme le dit très bien le livre dont nous suivons le thème général : « Il a fallu passer par l’idée de l’unicité d’un Etre idéal pour fonder l’unité de l’espèce humaine et l’unicité de chacun  de ses membres.... Dieu et l’Homme sont apparus en se donnant la main. » p.66-68)

            C’est dans cette clef de voûte de toute l’évolution religieuse que s’est inscrite, avec une relative facilité, la foi en la conjonction du divin et de l’humain en une personne exemplaire, Jésus de Nazareth. Le judaïsme, en parvenant à voir le mystère total du monde et de l’homme sous le signe d’un seul Dieu, indiquait le « point » précis auquel tout se trouve suspendu. Bien entendu, avant l’événement christique – Jésus de Nazareth et l’énigme de sa noblesse inédite, avec l’infamie suprêmement déshonorante de sa mort en croix, contredite aussitôt par la Résurrection – personne n’aurait pu imaginer un divin aussi dévoué et aussi résolu à se communiquer.

« Amour » est donc le nom du mystère immense et fondamental dont l’humanité cherchait l’approche. « Dieu est Amour ». Voici bien identifié le Principe de toutes réalités. Nous savons désormais quel est l’esprit du comportement humain qui autorise le ferme espoir de notre propre « reliment ».

 L’évolution du sens religieux se couronne ainsi, dans sa propre logique, par un événement qui pose à chacun la Question : ce long et laborieux cheminement multi-millénaire - jusqu’à ses plus étranges formes à nos yeux modernes -  n’était-ce pas déjà celui d’une humanité de plus en plus provoquée à une faim et soif du Mystère de vie par le Dieu qui se veut Père de la communauté humaine et qui n’a « inventé » l’homme que pour qu’il participe de  Lui-même?

            Les réapparitions du Christ ressuscité, tel l’éclair subit qui, dans la nuit la plus noire, ouvre pour une fraction de seconde une vue totale du paysage, n’ont pas laissé de doute aux témoins : le divin était là ; et à cet instant, se dévoilait la secrète occurrence de tout le passé. Instantanément, un immense espoir a commencé à déferler sur le monde : cela a été la « Bonne Nouvelle ».

Signalons au lecteur susceptible d’être intéressé que les principales revues religieuses, catholiques et protestantes, et des revues de Sciences Humaines ont été sensibles, dans la douzaine de leurs recensions, à la question traitée dans cet ouvrage, rarement posée avec cette décision, et « qui se lit comme une enquêteComment l’idée de Dieu incarné, vivant parmi nous, a-t-elle pu naître et s’imposer à des millions d’hommes ? Quel parcours a-t-elle suivi avant d’y parvenir ? » (Nlle Rev.Théol. T.128). « Ce livre tente de répondre à la question suivante : quel chemin entre la transcendance la plus radicale, celle du Dieu des origines, et l’immanence la plus déconcertante, celle d’un Dieu qui se fait homme. » (Rev Hist et Philo relig. T.86) «Comment la foi chrétienne, moment étrange de l’histoire universelle a-t-elle pu apparaître ?» (Trajets, N°2). « aventure fascinante d’un Dieu épris d’humanité » (La Vie spirituelle. 261). Les comptes-rendus signalent également volontiers l’intérêt à revisiter la façon dont le monothéisme est né sous l’étrange impulsion des interventions prophétiques, ainsi que l’originalité de l’enquête sur la personnalité de Jésus de Nazareth à partir des regards très différents du bon peuple juif, des pharisiens et des prêtres du Temple. Si l’auteur, prêtre diocésain, reconnaît qu’une main laïque (un jeune scientifique) lui a prêté son concours, notamment pour ce chapitre, la tonalité de l’ensemble de son travail est à cent lieues de celle d’un clerc formaté dans l’apologétique.

 Laissons la conclusion au  Bulletin critique du livre, en français. n° 666 : « Le lecteur se retrouve souvent sur le terrain de la philosophie de l’Histoire et, dans la perspective adoptée par l’auteur, semble apparaître par touches successives une notion assez proche de la conception providentielle du cours de l’Histoire. Voilà donc une « préparation évangélique », au risque des sciences humaines. »

 

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